Tant l'on crie Noël qu'il vient.
Le 24 décembre 1223, François décida de fêter Noël à Greccio dans une grotte où était son ermitage. Il y fit installer une mangeoire garnie de paille, un âne et un bœuf furent conduits là. Un prêtre y dit la messe. Des villageois sillonnaient les sentiers de la montagne, flambeau en main. François lut l'Evangile de la Nativité. Chants religieux, douceur des lumières, ce fut la première crèche et la première messe de minuit.
Je me souviens d'un écrit du père Pierre Pivert ( né en 1910 ), ancien professeur d'histoire et philosophie au petit séminaire de Flavigny, puis chanoine de la cathédrale St.-Bénigne de Dijon, qui rapportait les paroles de sa mère : "Le père Noël n'est pas riche cette année."
Au moment où la radio annonce que l'on s'endette pour l'achat de cadeaux, il est bon de se rappeler l'orange de Noël.
Le soir de Noël, quand j'avais huit ans, je courais, quelques sous en main donnés par ma mère, à la rencontre d'une épicerie. Mon trésor ne devait payer que la plus belle orange. Je bondissais chez Fichepoil, courais chez Falet, revenais encore chez Fichepoil. Qui dira ce que peut être dans un enfant l'intensité du désir et sa certitude de toucher bientôt au bonheur ? C'est ce désir et cette certitude qui ne doivent pas être trompés, et un Dieu naissait cette nuit-là précisément pour les combler.
Je revenais un peu avant minuit portant dans une main une admirable orange enveloppée d'un papier de soie, dans l'autre un sac de chocolats à faveur rose. La distribution de chocolats, la messe de minuit, la visite à la crèche, puis la fête qui s'éteint.
Je regardais ma belle orange. Et voici ce qui, rituellement, arrivait ; ma mère la tirait de son papier de soie : tous deux nous en admirions la grosseur, la rondeur, l'éclat : je prenais dans le buffet un de ces beaux verres à pied en cristal qu'on achetait alors dans les foires (...) je le renversais, le mettais à droite, au bout de la cheminée, et ma mère posait dessus la belle orange. La pomme d'or prenait ainsi sa place parmi tous nos fétiches (...) Pendant des mois, elle nous assurait par ses belles couleurs que le bonheur et la beauté étaient de ce monde. Quelquefois je la palpais, je la tâtais. Il m'arrivait d'insinuer qu'elle serait bientôt mûre.
- Attendons encore ! répondait ma mère. Quand nous l'aurons mangée, qu'est-ce qui nous restera ?
Nous attendions. En avril ou mai, il fallait la jeter, parce qu'elle était gâtée. Je n'ai jamais mangé l'orange de Noël. Triste fin pour cet objet de désir et de convoitise ! (...) Toujours, dans ma pensée, la nuit de Noël devra sa grandeur à ces souvenirs que j'ai rapportés, et il m'arrive souvent de songer au bonheur comme à une belle orange de Noël qu'il faudrait partager entre tous les hommes pour que réellement ils la mangent.
Jean GUÉHENNO
(1880-1976)
Changer la vie.
George Sand évoque la même magie de Noël
Mon premier regard était pour mon soulier, au bord de l'âtre. Quelle émotion me causait l'enveloppe de papier blanc ! ... Je courais, pieds nus, m'emparer de mon trésor. Ce n'était jamais un don bien magnifique car nous n'étions pas riches. C'était un petit gâteau, une orange, ou tout simplement une belle pomme rouge. Mais cela me semblait si précieux que j'osais à peine le manger.
George Sand
Histoire de ma vie.
La veillée est du domaine des villages et pour celle de Noël on choisit dès longtemps une bûche énorme.
Noël ne sera jamais un jour comme les autres ; Noël, c'est la veillée, c'est la messe de minuit, c'est le réveillon...
Mon père posait sur les chenets le tronc de pommier, la lourde souche de charme ou de noyer qui attendait depuis des mois. Je l'entends qui sonne contre la taque, je la vois, noueuse et bossue, avec ses mousses et son écorce crevassée.
On fait cercle autour du feu, les femmes à bonne distance, avec l'aiguille ou le tricot, les hommes tisonnant, les enfants buvant de tous leurs yeux la féerie des étincelles...
Quelle étrange musique, ces cloches dans la nuit ! On se hâte de garnir les chaufferettes et de couvrir le feu,... et l'on s'en va vers l'église, laissant dans la maison la flamme palpitante qui dit à travers la vitre : " Je suis là, je vous attends !"
Joseph Cressot (1882-1954)
Le Pain au Lièvre
La messe de minuit, c'eût été le froid tombant sur les épaules et mordant les orteils, c'eût été, sans la crèche, pénitence et déception. Mais la crèche était là, la crèche que les dames du château dressaient à la droite du chœur. Quand je poussais la petite porte, cela le sautait aux yeux et ne me lâchait plus. Des rochers gris et bruns, à grande cassure, faisaient une grotte à la fois sombre et claire. De grands sapins l'abritaient, tout saupoudrés d'une neige miroitante. Dans un halo de lumière, le bœuf, fauve et l'âne gris soufflaient leur haleine ; Joseph et Marie à genoux se faisaient vis-à-vis. Couché sur la paille dorée et bien rognée de son berceau, le petit Jésus levait ses genoux et tendait ses bras. Perdus dans les branches, des feux rouges, bleus, violets faisaient un ciel plus beau que le vrai ciel, en ce moment tout scintillant d'étoiles.
Joseph Cressot (ibid.)
Dehors, le vent de la nuit soufflait en éparpillant la musique des cloches, et, à mesure, des lumières apparaissaient dans l'ombre aux flancs du mont Ventoux, en haut duquel s'élevaient les vieilles tours de Trinquelage. C'étaient des familles de métayers qui venaient entendre la messe de minuit au château ... La nuit était claire, les étoiles avivées de froid, la bise piquait, et un fin grésil, glissant sur les vêtements sans les mouiller, gardait fidèlement la tradition des Noëls blancs de neige.
Alphonse Daudet (1840-1897)
Les Lettres de mon Moulin
J'ai écrit quelques contes de Noël, un dans chacun de mes quatre recueils ; j'ai toujours eu en tête l'atmosphère inoubliable que Daudet a su créer dans ses Trois messes basses ! Daudet était du programme de Cinquième au moment où l'imagination des enfants est si vive.