" Ce mesme jour après la comédie sur les dix heures du soir...
Jean-Baptiste Poquelîn a été baptisé le 16 janvier 1622, issu d'une famille aisée : son père était tapissier ordinaire de la maison du roi ; il devint à ce titre valet de chambre du roi, ce qui l'obligeait d'assister au fameux coucher du roi.
Après des études au collège de Clermont (futur lycée Louis-le-Grand), puis à Orléans en droit, il entre dans la petite troupe des Béjart "L'Illustre théâtre" et part en tournées provinciales durant 13 ans, essentiellement en Languedoc. La conversion de leur protecteur obligea la troupe à partir en 1657 pour Lyon, puis Dijon, puis Avignon... pour venir enfin à Paris en 1658. La protection que leur accorde le frère du roi, Philippe d'Orléans, leur donne le beau titre de Troupe de Monsieur. La troupe interprète - en alternance avec les farces de Molière - les comédies de Thomas Corneille et les tragédies de Pierre Corneille.
1658 Molière en César dans "La Mort de Pompée" par Nicolas Mignard ( Collections de la Comédie française )
On connaît l'extraordinaire ascension de celui qui s'appelle désormais Molière - emprunt sans doute au nom d'un de ces nombreux villages traversés durant la longue période provinciale. Il est auteur, acteur, metteur en scène ( même si cette notion ne date guère que du XXe siècle ! ) et directeur de la troupe. Il s'attire dès le début nombre d'ennemis, les petits marquis et les précieuses, les médecins, jusqu'à l'apothéose de Tartuffe et Le Festin de pierre ( qui ne prendra le titre de Dom Juan qu'en 1682 ) en 1664 et 1665 où se développe la cabale des dévôts contre lui.
Après la collaboration avec Lulli et le succès du Bourgeois gentilhomme puis de L'Avare qui révèle la mauvaise toux de Molière, on joue en 1673 Le Malade imaginaire où l'auteur brocarde une nouvelle fois les médecins. Le 17 février a lieu la 4ème représentation : Molière-Argan n'a jamais aussi bien joué le malade. Aussitôt après la fin de la pièce on le conduit au logis. Il demande le secours d'un prêtre. Deux de la paroisse St-Sulpice se récusent. Un 3ème vient trop tard. Deux religieuses l'assistent avant sa mort. On n'accorde d'obsèques avec un prêtre que de nuit. On l'enterre au cimetière de la chapelle St-Joseph.
Extrait du registre de l'acteur La Grange : " Ce mesme jour après la comédie sur les dix heures du soir..."
A la Révolution, la chapelle St-Joseph sera détruite et finalement Molière aura une tombe au cimetière du Père Lachaise.
Boileau se fera l'écho dans l'Épître VII A Racine de la vengeance des dévôts que Molière avait brocardés en tentant de lui refuser des obsèques bénies par l'Eglise :
Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière,
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,
Mille de ces beaux traits, aujourd'hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.
L'ignorance et l'erreur à ses naissantes pièces,
En habit de marquis, en robe de comtesses,
Venaient pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau
Et secouaient la tête à l'endroit le plus beau. [...]
Mais si tôt que, d'un trait de ses fatales mains,
La parque l'eut rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa muse éclipsée.
L'aimable comédie avec lui terrassée
En vain d'un coup si rude espéra revenir
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir.
De Molière ne restent que quelques signatures apposées au bas d'actes notariés. Tous ses manuscrits sont perdus. On a pu supposer qu'Armande Béjart ait vendu la malle qui les contenait en même temps que sa bibliothèque pour payer ses propres dettes. On sait aussi que les manuscrits auraient d'abord appartenu à La Grange et qu'ils seraient revenus à Armande après sa mort. On a pensé que les dévôts auraient pu les acheter pour les détruire. Mais deux légendes se sont greffées là-dessus : un voiturier se serait présenté au début du XIXème siècle à la Bibliiothèque nationale avec la malle ; mais, rebuté par les complications administratives, il serait reparti avec ladite malle. On prétend aussi qu'un homme serait venu apporter ces manuscrits à la Comédie française : le gardien l'aurait prié de revenir aux heures d'ouverture, ce qu'il n'a pas fait!...
Il me reste à évoquer la théorie lancée par Pierre Louïs en 1919, selon laquelle Molière n'aurait jamais rien écrit : Pierre Corneille aurait été son "nègre". Cela fut repris en 2001 par Cyril et Dominique Labbé en se fondant sur des statistiques lexicales ( vocabulaire et syntaxe ) sans faire d'étude comparative avec le style des contemporains, sans égard pour l'inimitié qui opposait les frères Corneille à Molière lesquels s'étaient sentis brocardés notamment dans L'Ecole des Femmes. Le professeur Georges Forestier en a définitivement démontré l'erreur.