Franz Schubert 31 janvier 1797
Il y a bien des décennies on enseignait l'allemand en intercalant dans les chapitres consacrés au vocabulaire et à la grammaire des chants qui ancraient dans la mémoire des élèves des expressions, du vocabulaire de cette langue difficile : les Lieder. Souvent une gravure de Ludwig Richter les illustrait et les élèves sensibles entraient d'emblée dans l'atmosphère de légende de la poésie allemande. Et l'on chantait par exemple Am Brunnen vor dem Tore ... C'est le début du Tilleul, Der Lindenbaum. Il y avait aussi le Lied du Wanderer, le voyageur. On étudiait - un peu plus tard - le poème de Goethe Erlkönig, le Roi des Aulnes, mais on ne le chantait pas ! Ce n'était plus du niveau des élèves...
J'ai hérité d'une dame de Berlin un livre scolaire qui l'a accompagnée dans son exil en France immédiatement après la seconde guerre mondiale. Elfriede (1898-1989) étudiait l'histoire de la musique dans Das goldene Buch der Musik, un livre de 976 pages édité en 1912 à Stuttgart. C'est à cet imposant ouvrage que j'emprunte quelques éléments de l'émouvante existence de Schubert.
Ainsi est né à Lichtental près de Vienne le 31 janvier 1797, il y a 220 ans, dans le modeste foyer d'un maître d'école, pauvre, chargé d'une nombreuse famille, un petit Franz Peter qui allait devenir un compositeur inspiré, le maître du Lied. De son père il n'a reçu qu'une éducation moyenne, mais, en raison de ses dons musicaux, il fut très vite admis comme jeune choriste dans la Hofkapelle - la Chapelle impériale. Il jouait du piano, de l'orgue, du violon. Il fut alors instruit en théorie de la musique par Kurcziszka, organiste, puis par Salieri. Lorsque sa voix mua, il continua ses études à la Konvitschule, mais son père le fit revenir comme assistant dans son école.
A partir de 1817 - il n'a que 20 ans - ce sont des amis qui pressentent son génie et l'aident. Il n'y a aucune place pour lui à Vienne, sa musique est trop éloignée de la tradition. Dans les mois d'été entre 1818 et 1824, il est maître de musique privé du prince Esterhazy en Hongrie. Et pourtant à 17 ans il avait déjà composé nombre de pièces pour quatuor à cordes, piano et même une symphonie, un opéra.
Schubert avait une sensibillité telle que la simple lecture d'un poème qui le touchait s'exprimait aussitôt en une composition musicale. Son œuvre comporte quelque 600 Lieder. Et la poésie allemande a des trésors de ballades où se mêlent le sentiment de la beauté de la nature et la mélancolie amoureuse. C'est ainsi qu'il compose la musique de Erlkönig en 1815, Le Roi des Aulnes, que Goethe avait écrit en 1782.
Il a demandé à Goethe de dédicacer un recueil de ses Lieder en 1816. Le grand poète ne lui a pas seulement répondu...
Gravure illustrant la chevauchée fantastique du père et de l'enfant poursuivis par le roi des aulnes.
Un autre poème célèbre a inspiré Schubert : la ballade du Roi de Thulé. Goethe l'a écrite en 1774 et l'utilisera plus tard dans la tragédie de Faust. Elle y devient le chant de Marguerite au rouet. Or, c'est Gérard de Nerval (1810-1855) qui a donné la traduction française de la pièce à 18 ans ! Il venait de quitter le lycée. Et Goethe dans une lettre dit ne plus lire son Faust que dans la traduction de ce jeune homme.
Il était un roi de Thulé
À qui son amante fidèle
Légua, comme souvenir d'elle,
Une coupe d'or ciselé.
C'était un trésor plein de charmes
Où son amour se conservait :
À chaque fois qu'il y buvait
Ses yeux se remplissaient de larmes.
Voyant ses derniers jours venir,
Il divisa son héritage
Mais il excepta du partage
La coupe, son cher souvenir.
Il fit à la table royale
Asseoir les barons dans sa tour ;
Debout et rangée alentour
Brillait sa noblesse royale.
Sous le balcon grondait la mer.
Le vieux roi se lève en silence,
Il boit, frissonne, et sa main lance
La coupe d'or au flot amer !
Il la vit tourner dans l'eau noire,
La vague en s'ouvrant fit un pli,
Le roi pencha son front pâli...
Jamais on ne le vit plus boire.
Voici la première strophe de Goethe
Es war ein König in Thule,
Gar treu bis an das Grab,
Dem sterbend seine Buhle
Einen goldnen Becher gab....
On peut comparer la traduction de Gérard de Nerval (cf.supra) avec ce qu'écrirait peut-être un élève de lycée. Le poète se libère du mot à mot, trop lourd pour exprimer l'atmosphère de légende de la ballade et par conséquent il n'est pas parfaitement fidèle au texte :
"Il était un roi de Thulé
Très fidèle jusqu'à la tombe,
À qui son amante en mourant
Donna une coupe d'or."
Il avait une admiration infinie pour le vieux maître Beethoven sans avoir jamais osé le rencontrer. On a dit qu'il avait envoyé au maître son Erlkönig mais que celui-ci ne l'avait pas regardé.
Ses amis heureusement organisent pour lui des Schubertiades vers 1821, mais dès 1822 il est gravement malade. Il compose encore et toujours et donne son premier et unique concert où il joue ses œuvres le 26 mars 1828. Le 19 novembre 1828 il meurt à Vienne.
Je ne saurais clore cette évocation sans saluer la pianiste Laure Rivierre et la mezzo-soprano Sylvaine Betrand que j'ai entendues interpréter Erlkönig lors de Schubertiades à Dijon. Il aurait fallu évoquer Die schöne Müllerin et les 12 chants du Voyage d'hiver. Alors ce sera pour saluer la mémoire du baryton Udo Reinemann dont ce Winterreise fut le chant du cygne.