Faites-en un berger, Madame...
Mais il n'y avait pas de moutons pour le petit garçon, Bernard, que le maître rejetait. Alors les parents l'ont mis en pension chez les frères de St-Joseph à Semur-en-Auxois pour qu'il devienne menuisier. Il y avait là un frère qui le faisait travailler chaque soir pour qu'il puisse passer le Certificat d'études avec tant de dévouement que l'élève a dit: Je veux être prêtre. Alors avec le Certificat en poche, à la rentrée suivante, les parents l'ont conduit au Petit Séminaire de Flavigny-sur-Ozerain. Le Certificat permettait alors d'entrer directement en 5ème ; il s'est ainsi trouvé avec des condisciples qui étudiaient le latin, le grec et l'allemand depuis un an. En ces matières, il se classait régulièrement le dernier.
Aux grandes vacances suivantes, le prêtre de son village lui a donné des leçons pour progresser dans les langues mortes. Et lui tout seul s'est mis à travailler avec son livre d'allemand au point qu'à son retour au Séminaire il s'est vite classé premier en 4ème. Il avait pour maître un jeune prêtre, Louis Roy ((1920-2014) que les élèves appelaient Ludwig. Louis Roy avait été envoyé en STO entre 1943 et 1945. C'était un grand germaniste, féru de littérature et de poésie allemande. Bernard, pour l'étonner, apprenait par cœur beaucoup de vocabulaire - voire des termes techniques - de quoi surprendre son maître !
Tous ses professeurs l'ont marqué : c'était des prêtres qui vivaient dans l'établissement, communiquant leur savoir. Très sévère était Pierre Pivert, qui enseignait l'histoire et la philosophie. Il était de Liernais où il revenait en été. Leur grand plaisir, parfois, en dehors des cours, était de converser en patois !
Quand son plus cher condisciple, Paul Choublier, entra au Grand Séminaire de Dijon, Bernard a choisi d'étudier à l'Université. Propédeutique de Lettres classiques, puis licence d'allemand. Mais il lui manquait une seconde langue vivante, latin et grec ne comptaient plus ! Va pour le russe puisque, avec l'ami Paul, il s'était mis à la langue russe grâce à la méthode Assimil !
Et la passion a été si forte qu'il a décidé d'en préparer la licence. Mais alors il lui fallait une seconde langue slave : il y avait heureusement à Dijon une lectrice de serbo-croate.
C'est alors qu'en fin d'études il fallut tout quitter pour le service militaire : 14 mois en France, 14 mois en Algérie. En 1959, il embarque sur le Foch, pour 40 heures de traversée en proie au pire mal de mer. Direction Sétif puis, un long temps après, au Lycée militaire de Koléa près d'Alger.
Au retour, en 1961, le cœur n'était plus aux études. Il fallut tout de même songer à une situation : d'abord à un diplôme d'études supérieures pour se présenter à un concours... Un poste de surveillant général au Lycée Prieur-de-la Côte-d'Or permit de finir les études de russe. Puis un poste au Creusot permit la rédaction du DES : Critique du nihilisme et des nihilistes dans Le Ravin (Obryv) roman de Gontcharov. Mais sans succès au concours d'Agrégation de russe : il n'y avait qu'un poste pour toute la France !
Entre temps il y a eu son mariage, la naissance de Xavier et Sylvaine, puis, après un bref passage au Lycée Bonaparte d'Autun et un succès au CAPES de Lettres modernes, le voici appelé au Lycée Militaire d'Autun, d'abord pour enseigner l'allemand à Changarnier, puis le russe et les lettres au Quartier Gangloff.
Il reste dans cet établissement quelque chose de l'enseignement qu'il a connu : tous les élèves sont internes dans un univers très structuré où la rigueur porte des fruits. Ainsi le repas de 3ème trimestre, où les élèves invitent leurs professeurs dans un restaurant, souligne, de manière significative, les rapports qui s'établissent entre eux au fil de l'année scolaire.
C'est pendant ces années 70-80 que naît et se développe sa passion pour la trompe de chasse : l'oncle Raoul lui a donné un instrument précieux : une trompe dite Dauphine du facteur Courtois du XIXème siècle. Il prendra ses premiers cours auprès du colonel de La Comble à Autun pour s'échapper très vite, avec Xavier, dans les stages de Sorèze et de Segré. Sylvaine se joindra peu après à eux pour former un trio qui a eu quelque renommée !
Très vite aussi, en 1979, pour partager ce nouvel enseignement, il crée le groupe de trompes Le Bien-Aller du Morvan. Et, tout naturellement, il a voulu communiquer cette passion à ses élèves du Lycée Militaire, suivi en cela par le colonel en second Gabriel Perrier.
Son travail assidu lui a permis de monter lui-même en 1ère catégorie, mais sans atteindre le beau titre de champion de France. Plus tard Xavier et Sylvaine atteindront le même niveau, puis Xavier sera champion de France de basse et Sylvaine championne de la Coupe des Dames à deux reprises.
En 1987, sur le conseil du président de la Fédération Internationale des Trompes de France, Gérard de La Rochefoucauld, voilà le stage du Lycée Militaire fondé avec un succès international - lequel sera interrompu à la suite de l'attentat de New-York en 2001. Il avait lieu durant les vacances de Pâques et offrait aux stagiaires un concert à la cathédrale, puis un repas de fête. Le plan Vigipirate a contraint Bernard à délocaliser le stage jusqu'à un hâvre de beauté à Pont-Royal. Puis il fallut encore trouver un autre site : c'est le Lycée St-Dominique de Saulieu qui accueillera le stage au début de juillet - pour la quatrième fois en 2017, hélas sans Bernard.
Il a rejoint la maison du Bon Dieu le 24 avril. Sa famille, ses amis, ses anciens élèves, de nombreux sonneurs l'ont accompagné le 27 à sa dernière messe à Liernais, puis, jusqu'au petit cimetière champêtre de Brazey-en-Morvan, tout près de l'église où le Bien-Aller du Morvan sonne le vendredi soir chaque quinzaine.
De Montréal lui est venu cet hommage :
Rire moqueur, regard pénétrant dans tes parcelles de vie et d'amour,
Au son d'un cor de chasse, si bien soufflé, si bien dompté, si bien transmis,
Ou d'un vin bien vieilli qui à tes lèvres devenait chant et poésie (...)
L'amitié ne s'arrête jamais quel que soit le chemin emprunté, même celui où il ne pleut plus,
Et, de là où tu es, veille sur nos rires et veille sur tous ceux qui t'aiment et que tu as aimés.
Alfred Homsi, médecin anesthésiste.
En vain désormais le chant flûté du loriot, en vain la floraison d'or des genêts du Morvan pour celui qui a eu la vigilance du bon berger envers les ouailles qu'il a accompagnées au long de sa carrière. Peut-être est-il à présent, au Paradis, un berger lumineux qui veille de très haut sur ceux qu'il a aimés, qui l'ont aimé.