A posteriori
La rumeur du cortège attirait tout le monde aux fenêtres. On regardait passer les cavaliers, les éléphants chargés de vivres, les dromadaires dédaigneux et toute la ménagerie, et chacun rêvait de longs voyages. Mais les Rois, qui avaient beaucoup voyagé, regardaient en passant les chambres tièdes et enviaient ces existences paisibles...
Au milieu de la nuit, ils arrivèrent à Berhléem. Comme ils entraient dans le village, le coq chanta, d'une voix brève et claironnante "Christus natus est!"
-- Oubi ? ( ubi, où en latin ) mugit le bœuf au fond de sa mangeoire. À quoi répondit en bêlant un agnelet mignon :
-- Be-é-eethlé-é-em !
-- I-a..ia... amus ! se mit à braire un âne de l'escorte !
Car les animaux, vers le temps de la Befania, ne parlent que le latin. L'âne voulait dire "Eamus !" (Allons-y !) mais on peut pardonner aux ânes des fautes de langage !
Andrea Mantegna
L'Adoration des Mages (1495-1500) Los Angeles
Le texte ci-dessus est de André t'Sterstevens (1875-1974), grand voyageur belgo-français ami de Blaise Cendrars.
La citation extraite d'un livre scolaire à l'usage des collèges et lycées -"Français 6e Collection Lagarde et Michard. Bordas 1961" - est ainsi présentée :
"La fête de l'Epiphanie, le 6 janvier, rappelle l'adoration des Rois Mages à Bethléem. Tout le monde connaît l'histoire de Melchior, Gaspard et Balthazar, prêtres versés dans la science des astres, qu'une étoile merveilleuse conduisit à travers les déserts jusqu'à la crèche pour adorer le Messie et lui offrir l'or comme à un roi, l'encens comme à un dieu, la myrrhe comme à un mortel, présents qui symbolisent la charité,la prière et la mortification." (p.94)
L'adoration des mages. Chapiteau de la cathédrale St-Lazare d'Autun. XIIe siècle.
Le sculpteur Ghislebert consacre un second chapiteau aux mages en illustrant leur réveil par l'ange, avant de prendre un autre chemin pour le retour sans obéïr à la demande de Hérode.
Albrecht Dürer. (1471-1528)
Le Christ parmi les Docteurs de la Loi (Madrid)
Douze ans plus tard, l'enfant a bien grandi ; selon la tradition, les parents le conduisent au temple. Et le voici au milieu des docteurs de la Loi.
Dürer, le peintre de Nuremberg, n'a pas ménagé ces hommes qui détenaient le savoir. Il en est un en haut à droite qu'on croirait apparenté à Judas avec ce regard diabolique.
Juste devant lui, voilà l'homme de science arrogant, qu'il ne faut pas contredire. De l'autre côté il y a le doute : le livre est là, source de tout savoir : alors qui croire ? Et encore des mains plus ou moins menaçantes.
Et puis il en est deux, âgés, dont l'un a fermé le livre. On dit que Dürer a peint là les mains de sa mère fermées sur le livre. Il écoute, il s'émerveille. Celui qui porte une longue barbe réfléchit, le livre encore entrouvert, il rêve.
Quant au jeune homme, aux jolis doigts ronds qui ne connaîtront jamais l'arthrose, ses yeux voient plus loin, vers un ailleurs que ne soupçonnent pas les docteurs. Pas de livre pour lui. Ses mains esquissent un début d'argumentation pour une démonstration logique.